Chapitre 10 : à Kourchéda.

Le sable tourbillonnait, calme et violent, depuis les montagnes rouges et ocres qui surplombaient Kourchéda la Belle, comme on l’appelait dans le coin. Ce sable doux jouait le même rôle que les Grandes Brumes de Siudka. Prune, Olena et les Toultsatchouvki descendirent vers les portes de la ville, où se tenaient deux silhouettes assez massives ; l’une semblait flotter. La petite troupe voyait maintenant clairement les deux « sentinelles » : un homme de grande taille, les cheveux auburn, bouclés, des yeux noirs pétillants, tendait les mains vers eux pour les accueillir ; un fé (peut-être un génie) salua Olena, observa les autres, et son regard s’arrêta un instant sur Prune. Personne ne parla avant d’avoir franchi les portes.

« Bienvenue à Kourchéda », dit l’homme, et soyez assurés de notre soutien. Vous êtes en sécurité, je protège la ville avec l’aide de Navtchi.

_ Navtchi ! s’exclama Prune. Mais oui, c’est le fé protecteur de Kourchéda ! Et toi, tu dois être Kostsaěv… C’est dingue, je n’ai jamais vu les 6 héros dont on nous rabâche les oreilles depuis le CP !

_ Oui, sourit Kostsaěv. Mon nom est Nilimashku.

_ Olena, s’enquit alors Navtchi, on t’accordera ce que tu demandes. Va au palais, trouve une dénommée Tuliz. On libèrera Toultsatchouk ! »

La fée se dirigea vers le palais. Elle semblait glisser, suivie des Toultsatchouvki et de Prune. Svetlana ouvrait des grands yeux et regardait partout, émerveillée. De magnifiques palais colorés et dorés, de magnifiques vêtements,…Kourchéda méritait bien son surnom.

Une flèche violette et dorée sortit soudain du palais central, suivie d’un homme armé d’un sabre, qui arrêta la « flèche » d’un bras puissant. C’était en réalité un jeune homme (très beau, dit une petite voix dans la tête de Prune), portant, comme tous les jeunes hommes de Kourchéda, une longue natte, par laquelle il s’était fait attrapé. L’homme au sabre paraissait excédé, mais bienveillant.

« Si je te reprends ne serait-ce qu’une seule fois à voler, je te coupe la natte ! » rugit-il.

_ Wouah, la menace ! se moqua Prune.

_ Ne ris pas, fit une voix que Prune connaissait, une voix marquée par un accent Rom, c’est la honte sur lui, si on lui coupe la natte. »

Prune se retourna. Lida-Lluba-Romica se tenait aux côtés d’une femme brune vêtue d’une robe rose et noir.

« Lida ! ça fait plaisir de te revoir ! Et…oh, mais c’est Hutcheva ! »

Un deuxième « héros » faisait face à Prune. La jeune fille était enchantée de voir « pour de la vraie ! » ces fameux héros des Pétales de la Fleur, dont elle entendait parler depuis toujours. Avec un peu de chance, se dit-elle, les autres vont aussi s’amener…Yiyorev, Somova, Lekov et Adtihova…Les héros des pétales. Elle avait depuis le début de la sympathie pour Adtihova, la plus jeune. Si seulement elle aussi pouvait arriver…

Une femme élégante coiffée d’un chignon, comme toutes les Kourchédanes, apparut à la porte du palais, s’avança vers les deux hommes, leur jeta un regard réprobateur et se tourna vers Olena et Prune.

« Je suis Tuliz. Vous aurez ce que vous souhaitez. On libèrera Toultsatchouk.

_ ça a l’air d’une formule de politesse, souffla Prune à Lida.

_ C’est davantage un slogan que tous se passent pour ne pas oublier le sort des Toultsatchouvki, répondit Lida.

_ Tu crois que tous les héros des pétales vont se rassembler ici ? s’enquit Prune.

_ Non, répondit Hutcheva. Kostsaěv reste pour protéger sa ville, moi je suis là car je suis celle qui a vu Perle pour la dernière fois. Lekov est quelque part avec Yiyorev, ils organisent le combat pour libérer Toultsatchouk. Somova est chez elle, à Svendilka.

_ Et Adtihova ?

_ On ne l’a pas revue depuis pas mal de temps… Mon prénom est Azukénaï. »

Prune était ravie. Elle pouvait faire ce qu’elle avait toujours voulu : sauver le monde (ou du moins une partie), défendre les opprimés, chasser des tyrans du pouvoir… Une lueur étrange brillait au fond de ses yeux, et lorsque Tuliz et l’homme au sabre (son mari) lui firent signe de les suivre au palais, cette lueur brilla davantage. Le jeune voleur les accompagnait. Le soleil libérait les reflets cuivrés de sa longue natte, et la petite voix dans la tête de Prune dit que c’était très joli…

« Comment tu t’appelles ? lui demanda-t-elle en rougissant légèrement.

Shádi, répondit-il ? Je suis le frère de Tuliz. »

Une petite voix parla dans la tête de Shádi : « elle est jolie, Prune, et certainement très forte, mais fragile : je dois la protéger ! ». Le jeune homme baissait les yeux, mais jetait des regards furtifs sur Prune. Quelque chose de bizarre, qu’il ne connaissait pas, lui arrivait : son cœur semblait vouloir battre plus vite que le rythme de ses pas. Ses joues rougirent quand Prune lui demanda :

« C’était qui, l’autre de tout à l’heure ? Tu as volé quoi ?

C’est le mari de ma sœur, et le roi de Kourchéda. J’ai volé les loquets de la Porte Secrète, où sont rassemblés tous les trucs un peu … qu’on ne doit pas savoir, quoi ! Mais les loquets ne servent à rien, c’est juste pour faire joli. Pas de quoi me couper la natte… Tu imagines, la honte ! Mais bon, depuis le temps qu’il me menace, il ne l’a jamais fait !

Pourquoi, la honte, si on te coupe la natte ?

Les Kourchédans doivent porter une longue natte jusqu’à l’âge de 27 ans, sauf s’ils se conduisent mal. Si je n’ai plus de natte alors que j’ai 20 ans, tout le monde saura que je ne suis pas très honnête …

Tu es un pirate, répondit tout simplement Prune. Ce n’est pas grave. A Siudka, on dirait que tu es débrouillard. »

Elle sourit. Shádi, ébloui par ce sourire, se dit qu’il serait capable de n’importe quoi pour elle. Il s’imaginait déjà sauver Prune des mains d’agresseurs particulièrement méchants, et Prune l’embrasser, et un mariage somptueux, entre terre-ferme et fond marin, comme celui qui avait failli avoir lieu vingt ans auparavant …

La voix de Tuliz le ramena brusquement à la réalité.

« Shádi, va prévenir tout le monde : on organise un repas pour nos invités ce soir. »

Prune était épuisée par tout ce qui lui était arrivé depuis la rencontre avec cet homme, dans le grange, avec Lida, avec Oléna, avec Svetlana, avec Shádi … Elle était surprise par l’aisance de Lida à Kourchéda, alors qu’elle semblait si fragile et apeurée à Siudka… Elle avait dû jouer la comédie pour réveiller le petit côté « justicier » de Prune… La jeune fille bailla, s’allongea sur le lit de la chambre dans laquelle Tuliz l’avait conduite, et dormit tout l’après-midi.

Le soir, un excellent repas, agrémenté de danses kourchédanes, fut servi aux Toultsatchouvki et à Prune. Svetlana s’était liée d’amitié avec Lida, et après le repas toutes deux entonnèrent des chansons Tziganes, accompagnées par Prune et Oléna. Puis Prune chanta en Okéani. Les sons de la langue des Océans résonnaient étrangement dans le palais ; la jeune fille chantait, elle n’avait jamais entendu cette chanson, mais la connaissait depuis toujours, tout comme elle avait toujours su nager, toujours parlé Okéani… La chanson se déroulait, lancinante, et les yeux de Prune brillait de plus en plus.

Azukénaï et Nilimashku échangèrent un regard, Navtchi et Oléna hochèrent la tête : le moment approchait, Prune était prête… Lida parla à Svetlana, qui regarda Prune d’un air impressionné, émerveillé… Shádi avait fermé les yeux, envoûté par la chanson céruléenne.

Enfin, tout le monde se retira dans sa chambre. Les lumières s’éteignirent une à une, et un doux ronronnement résonna dans le palais. Seul un jeune homme s’était faufilé dans un couloir sombre, au plus profond des sous-sols du palais, vers une porte surnommée « Porte Secrète »… Shádi allait ouvrir cette porte, lorsqu’un main puissante se referma sur son épaule. Il fit volte-face, la main sur son sabre.

« Tu cherches un moyen d’impressionner Prune ? ou bien de l’aider, peut-être. »

Nilimashku, une torche à la main, souriait avec bienveillance.

« Je ferai n’importe quoi pour elle, affirma Shádi, déterminé.

Jusqu’où es-tu prêt à aller ?

Jusque là ! répondit Shádi. »

Et, un air de défi dans le regard, il dégaina son sabre, saisit sa natte, et la trancha sans hésiter. Impressionné par tant de détermination, Nilimashku fixa Shádi droit dans les yeux :

« Tu seras chargé de veiller sur Prune. Ce que tu viens de faire prouve ton courage.

Ce sera plus discret, à Toultsatchouk, les cheveux courts, dit simplement Shádi.

Nous te faisons confiance, et nous savons que tu peux l’aider. Pour le moment, va te reposer, car demain vous partez à Koraïvlubpko avec Azukénaï. Veille sur Prune et protège-la ; elle est forte, mais aussi fragile que la Fleur d’Ecume.»

Sur ces mots, Nilimashku serra Shádi contre lui, ce qui était la preuve de confiance à Kourchéda, et Shádi regagna sa chambre, tandis que le héros retourna veiller aux portes de la ville.

chapitre 10 : à Kourchéda

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