chapitre 34 : le grand livre noir.

Chapitre 34: Le grand livre noir.

La nuit avait été courte et fraîche. Les rayons du Soleil, reflétés par les roches et planctons phosphorescents, réveillèrent le palais de bonne heure. Un lendemain de fête pour les Céruléens ressemblait à un lendemain de fête pour les Humains : même euphorie, même gueule de bois. A l’effervescence de la veille succédait un calme étrange, tranchant. Prune se prépara et descendit dans la grande salle. Onze heures moins cinq… Elle trouva un Tchileï rêveur, contemplant un portrait de Rizalé qu’il serrait amoureusement entre ses doigts.

« Ouah, y a anguille ! lança-t-elle. Ça fait combien de temps ?

ça fait rien du tout, soupira Tchileï. Elle ne le sait pas.

Bah, tu devrais lui en parler…

Parler à Rizalé, on voit que tu ne la connais pas encore ! depuis qu’elle a vu une certaine chose dont elle ne parle jamais, elle a la rage. Et elle dit que l’amour n’entraîne que déception et trahison !

Quel optimisme !

Bon, allons-y, c’est bientôt l’heure. »

Aruvah et Shádi étaient déjà arrivés à la porte de Cyanéa. Shádi était de plus en plus mal en point. Sa respiration difficile et les écailles qui lui couvraient la moitié du corps faisaient fuir les quelques animaux qui s’aventuraient près des portes. Sur son torse, la Clé du Trident luisaient.

Rizalé ne tarda pas à arriver. Un bref signe de tête en guise de bonjour, puis elle leur fit signe de la suivre. Ils franchirent la porte de Cyanéa, contournèrent un haut rocher surnommé « la Toniletta », traversèrent le fourré d’hautes algues de Vuulikhka, franchirent la porte de Lehhti, s’engouffrèrent dans le défilé des Coraux Morts Sous La Lune, franchirent la porte de Maori, traversèrent une zone sableuses dite « Nadaziomlia » et enfin aboutirent à une grotte dans laquelle se trouvait une porte noire fermée d’un verrou blanc. Cela ressemblait à deux yeux qui fixaient les nouveaux arrivants.

« D’où viennent les noms des lieux ? demanda Prune.

Certains sont très anciens, comme Nadaziomlia, Vuulikhka ou Toniletta, expliqua Rizalé ; en général les noms de lieux naturels remontent au Premier Monde. Mais les noms de lieux construits sont beaucoup plus récents. Le plus ancien est le pont de Tcharaku, dans la région que les Humains appellent l’Océanie. Tcharaku fut la reine la plus appréciée de tous, y-compris des Humains. »

Le silence retomba, pesant. Rizalé ne voulait pas aller plus loin, Tchileï non plus. En revanche, Aruvah et Shádi voulaient accompagner Prune.

« Te sens-tu prête, Prune, à savoir ?

Oui, affirma Prune, décidée.

Dans ce cas, tourne le verrou de la porte. Longe le couloir sans t’arrêter, et enfin tu arriveras à la porte derrière laquelle le Grand Livre Noir est conservé. »

Prune respira profondément, et posa ses mains sur la porte, qui s’évanouit. Lorsque Shádi, Aruvah et elle furent passés, la porte se rematérialisa. Sans mot dire, ils cheminèrent le long du couloir, dont les murs étaient jonchés de couronnes de rois et de reines Céruléens et de torches rougeoyantes. Et au bout d’un moment se dressa la porte de la salle.

« Nous y sommes, murmura Prune. Enfin ! ça fait tellement longtemps que j’attends ça… Donne-moi la Clé, Shádi. J’irai seule.

Mais…interrompit Aruvah.

Cela vaut mieux, expliqua Shádi. »

Il pencha sa tête, et Aruvah l’aida à ôter le ruban de la clé. Prune la saisit délicatement, puis se tourna vers la porte. Elle souffla plusieurs fois, prit une longue respiration, puis entra. La porte se referma aussitôt. Toute la pièce était colorée de rouge vermillon ; et au centre, sur un pupitre carmin, se tenait le Gros Livre Noir.

Prune serrait la Clé du Trident à s’en briser les doigts. Elle approchait enfin du but, elle allait savoir…

Shádi et Aruvah l’attendaient de l’autre côté de la porte ; le courageux Shádi, de plus en plus mal en point, avait tenu à respecter son désir de solitude à ce moment là, et il avait réussi à convaincre Aruvah d’en faire autant. Mais pendant un bref instant, Prune, tressaillante, regretta qu’ils ne fussent pas à ses côtés…

Le cadenas brillait, solide bouche close aux dents enchevêtrées… Prune approcha la clé lentement, le cadenas frémit ; un éclair aveuglant jaillit lorsque les trois branches de la Clé furent happées par les trois trous du cadenas, et trois « clics » sec retentirent. Prune réprima son impatience (il ne fallait aucun geste brusque !) et fit pivoter doucement la Clé. Les dents du cadenas s’ouvrirent, libérant le fermoir du livre dans lequel étaient écrits les terribles événements dont personne ne voulaient se souvenir…

Elle ouvrit le livre avec précaution. Tout était écrit en okéani, et des illustrations parsemaient les pages. Parfois, on voyait des notes dans la marge, avec des lettre très petites ou plus grosses, inégales, comme une écriture enfantine…

Rizalé. Prune la reconnut sur une des photos, où elle posait en compagnie de Perle-de-Lune et de trois autres personnes qu’elle ne connaissait pas. Elle jeta un œil sur la légende, qui indiquait les noms et les âges de chacun :

Perle-de-Lune, 18 ans ; Maori, Cyanéa et Lehhti, 12 ans ; et Rizalé, 8 ans.

Ils avaient tous leur apparence « de camouflage », mais on percevait nettement dans leurs attitudes qu’ils étaient Céruléens. Prune tourna la page : les mêmes, l’année suivante, sous leur véritable apparence. Elle tourna la page, et se retrouva devant une série de feuilles blanches. Après un court instant de déception, elle réfléchit : ces pages devaient être les plus importantes, il y avait un lourd secret dissimulé en elles. « Montre-moi ! » demanda-t-elle dans un souffle.

Et elle se retrouva comme au cinéma, devant le film de ces fameux événements qui avaient bouleversé le Monde des Profondeurs et de la Fleur d’Ecume toute entière.