chapitre 3 : face à face

Chapitre 3 : Face à face.

Prune batifolait dans les vagues, tout en discutant avec deux poissons qui passaient par là. Elle comprenait parfaitement l’okéani, le langage des mers et des océans ; c’était facile : une seule langue pour toutes les profondeurs des océans. Prune avait toujours su parler l’okéani. Elle le savait, et en était fière, malgré les moqueries incessantes des autres.

^{« _} Tu n’es pas suivie, les autres n’ont pas osé plonger, dit l’un des poissons.

_ Ils ont voulu te tendre un piège, donc fais quand même attention, ajouta le deuxième poisson.

_ Prends vers le large, puis quand tu verras la première maison de Siudka, pique sur la droite. Surtout, évite cette maison : ils ont prévu de t’y attendre.

_ Tu débarqueras là, et tu prendras le chemin qui contourne la maison, à ta gauche puis derrière. Mais fais attention : ils contrôlent aussi ce chemin.

_ Nous devons partir de l’autre côté. Au revoir.

_ Et bonne chance ! »

Prune fit exactement ce que les poissons lui avaient dit. Elle se trouvait derrière la maison, presque en sécurité, quand une femme assez petite et  fine, aux cheveux blonds presque blancs très fins, à l’air hautain, lui barra le chemin. Ses yeux glacés se plongèrent dans ceux de Prune, qui s’arrêta net. Aucune fuite possible. Que faire ?

Aruvah, entouré de ses sbires et serviteurs, surgit derrière Prune.

« _ Enfin ! s’exclama-t-il. Je savais que tu ne m’échapperais pas.

_ Pour le savoir, il aurait fallu que tu aies un cerveau, répliqua Prune sans hésiter.

_ Oh ! Quelle répartie !... Je te présente ma mère, Prune : elle est redoutable, ses yeux sont capables d’arrêter un tourbillon au plus haut de sa force. Tu ne feras pas le poids face à elle…Mais si tu acceptes de rejoindre mon groupe, tu n’auras pas à l’avoir contre toi.

_ Je m’en fiche pas mal, de qui est contre moi ! Depuis que je suis née, j’ai toujours dû faire face à tout le monde. Je suis habituée.

_ Les personnes qui t’ont aidées sont bien bêtes ; comment aurais-tu pu me fuir encore ? Tu ne peux pas faire que ça…

_ Pfff… Quel manque de précision ! C’étaient des poissons ! Pas n’importe quelles bêtes ! Et puis je ne vois pas ce qu’il y a de déshonorant à être une bête, surtout quand on voit comment peuvent se comporter certains humains !

_ Tu aimes jouer avec les mots, à ce que je vois.

_ Oh ! Quelle surprise ! Tu as des yeux !!!

_ Je n’aime pas vraiment ton insolence, Prune !

_ Ce n’est pas de l’insolence : c’est du bon sens. Eh oui, même moi, j’en ai ! »

Prune, tout en parlant, se déplaçait imperceptiblement vers les arbres. Elle connaissait un passage secret qui reliait ce groupe d’arbres au parc de la Molette, en plein cœur de Siudka. Elle l’avait découvert lors d’une expédition nocturne en cachette. Elle n’avait qu’à sauter sur l’étoile de mer peinte en vert sur le sol, au pied du grand pin.

            « _ Prune, reprit Aruvah, tu m’appartiens, de toute façon ! Sois raisonnable et suis-moi sans faire d’histoire, et il ne t’arrivera rien de mal.

_ Qui me dit que c’est la vérité ? Et puis d’abord, je ne peux pas résonner, ma tête n’est pas creuse. Et moi, je suis la meilleure du monde !

_ Tu finiras au fin fond du fin fond de l’abîme ! s’écria l’homme de la grange, toujours en pleine transe.

_ Avant ça, il faudra d’abord me trouver !

Et Prune sauta à pieds joints sur l’étoile de mer peinte en vert ; elle disparut sous les yeux effarés des sbires du sorcier.